CHAPITRE V

— Ces… créatures du diable se prennent déjà pour les maîtres de l’univers ! soupira pra Goln.

Les Ulmans du Chêne Vénérable patientaient depuis plus de trois heures dans une antichambre du palais d’Ersel. Jamais encore l’Église n’avait cherché à nouer des relations diplomatiques avec les nouveaux maîtres de Déviel, mais les derniers rapports des agents en poste sur la Seizième Voie Galactica, qui faisaient état d’un possible accord entre les Garloups et Rohel Le Vioter, ne laissaient plus guère de choix sur la stratégie à suivre : il fallait pactiser avec le Cartel.

Outre pra Goln, la légation dépêchée par le palais épiscopal d’Orginn comprenait l’Ultime Su-pra Jaïdi, un prélat en poste depuis plus de vingt ans sur la planète Orenz (Treizième Voie Galactica), une dizaine de fras missionnaires, six moines abroïsiens, des fanatiques que la hiérarchie avait jugé bon de sortir de leur réclusion pour mettre leur don de clairvoyance – réel ou légendaire – au service de l’ambassade, et enfin une cohorte du Jahad, le service secret de l’Église, forte de cinquante membres et dirigée par le commandant pra K-Sum.

Seuls Su-pra Jaïdi, le chef officiel de la légation, pra Goln, son secrétaire, le commandant pra K-Sum et un moine abroïsien avaient été autorisés à pénétrer dans l’enceinte de l’ancien palais impérial. Les autres attendaient dans les bâtiments de la mission locale dont le responsable, fra Yakkez, n’avait pas été invité à se joindre à la délégation – ses trente-deux années de présence sur Déviel auraient pourtant pu s’avérer extrêmement utiles dans ce genre de circonstances mais, pour de sombres raisons de préséance, pra Goln avait refusé son concours.

— Ravalez donc votre morgue, pra ! dit Su-pra Jaïdi d’un ton sec. Nous ne devons rien faire ou dire qui puisse compromettre la mission dont nous a chargés le palais épiscopal.

Le secrétaire lui lança un regard où la colère le disputait au mépris. Bien qu’il fût hiérarchiquement inférieur à son interlocuteur, il se considérait comme le véritable responsable de la légation – c’était du moins ce que lui avait suggéré, à mots couverts, le Berger Suprême en personne. Su-pra Jaïdi n’était qu’un vieil imbécile qu’on avait nommé à la tête de cette expédition diplomatique parce qu’il fallait respecter les formes, donner au Cartel l’impression que le Chêne Vénérable le reconnaissait dans sa légitimité, mais pra Goln possédait dans sa manche quelques cartes maîtresses – et secrètes – qui faisaient cruellement défaut à l’Ultime.

Les lumières diffuses des appliques se réfléchissaient sur les crânes rasés et luisants des deux ecclésiastiques.

— Ne me fixez pas avec cette insolence, pra ! siffla Su-pra Jaïdi. Je sais que vos confrères et vous ne songez qu’à prendre la place des Ultimes mais, jusqu’à nouvel ordre, vous relevez de mon autorité. Vous devrez encore vous armer de patience.

Pra Goln masqua son acrimonie sous un sourire cauteleux.

— Je ne songe qu’aux intérêts de notre Sainte Église, Votre Grâce, dit-il d’une voix qu’il s’efforçait de maîtriser mais qui restait parsemée d’éclats colériques.

— Les intérêts de l’Église se confondent parfois avec l’intérêt personnel, intervint le moine abroïsien.

On ne connaissait pas son nom, pas davantage qu’on ne connaissait les noms de ses confrères, tout simplement parce que les Abroïsiens se dépouillaient de tout artifice individuel au moment de prononcer leurs vœux, et en premier lieu de leur patronyme. Ils se rasaient le crâne, comme tous les membres du clergé, et vivaient entièrement nus à l’intérieur de leurs monastères, été comme hiver. Ils se châtiaient très durement s’ils venaient à céder aux tentations des sens, allant jusqu’à s’amputer de la langue, d’un bras, d’une jambe, d’un œil, d’une oreille ou du membre viril. Lorsque leurs obligations les amenaient à quitter le monastère, ils se revêtaient d’une bure serrée à la ceinture par une cordelette.

Les six moines de la légation appartenaient à une communauté située sur une planète déserte de la Douzième Voie Galactica. Émaciés, ils avaient le regard perçant, halluciné, de ceux qui voient au-delà des apparences. Ils ne parlaient pas beaucoup mais chacune de leurs paroles tombait comme une sentence.

— Que voulez-vous dire, l’Abroïsien ? demanda pra Goln d’un ton rogue.

— Que certains se servent d’IDR El Phase davantage qu’ils ne le servent.

Les yeux du moine brillaient comme deux blocs d’énergie pure sous l’arc prononcé de ses sourcils.

— Qu’est-ce qu’un reclus peut connaître des affaires du monde ? rétorqua pra Goln. Les chemins sont nombreux qui mènent au Jardin des Délices.

Il régnait dans la salle d’attente un froid glacial qui, hormis l’Abroïsien, leur faisait regretter de ne pas s’être couverts plus chaudement. Les nouveaux maîtres de Déviel ne se souciaient guère de confort ou de décoration à en juger par la nudité du carrelage, du plafond et des murs. Des colonnes de lumière sale tombaient de fenêtres étroites et s’écrasaient en flaques ternes sur le sol. Les diffuseurs volants de parfums artificiels étaient les seules concessions ostensibles au luxe mais une odeur lourde, évoquant l’intérieur d’une boucherie, persistait sous les senteurs capiteuses. Le silence sépulcral qui ensevelissait le palais renforçait chez les représentants du Chêne Vénérable l’impression de se morfondre à l’intérieur d’une gigantesque tombe.

— Les chemins sont encore plus nombreux qui mènent au Grand Enfer des Déchets, repartit le moine.

— Gardez vos sermons pour vous, l’Abroïsien ! s’interposa pra K-Sum.

Vêtu d’un costume gris, le commandant portait également un calot rond qui dissimulait en partie ses cheveux bruns et lisses. Comme la plupart des membres du Jahad appelés à effectuer des missions extérieures et à se mêler aux populations locales, il ne se rasait pas la tête et n’arborait aucun signe distinctif de son appartenance au Chêne Vénérable. En poste depuis dix ans dans la Quinzième Voie Galactica, il dirigeait une cohorte d’élite qui avait fomenté de nombreux troubles sur les planètes les plus importantes, concouru au renversement de plusieurs gouvernements et instauré des régimes totalitaires favorables à l’introduction du Verbe d’IDR El Phase. Son visage osseux et ses petits yeux ronds, profondément enfoncés sous ses arcades saillantes, accentuaient sa ressemblance avec un vautour d’Orginn.

Il lança, pour la vingtième fois depuis qu’il était entré dans cette pièce, un coup d’œil sur les murs et le plafond et, bien qu’il n’y décelât aucune trace de mouchard holographique, il reprit en baissant machinalement le son de sa voix :

— Nous ne sommes pas rassemblés dans ce palais pour nous juger mutuellement mais pour additionner nos compétences.

— Pra Goln vient de le dire : je n’ai aucune disposition pour les affaires de ce monde, répliqua le moine d’un air pincé.

— Cette modestie vous honore, l’Abroïsien, mais elle ne nous est d’aucune utilité. Nous ne connaissons pas le Cartel et nous avons besoin de vos dons d’observation. Votre aspiration à l’idéal d’IDR El Phase ne doit en aucun cas altérer votre clairvoyance.

Pra Goln se demanda si pra K-Sum n’avait pas reçu, comme lui, des instructions personnelles et confidentielles. Il connaissait suffisamment les rouages de l’Église pour savoir qu’elle pouvait fort bien jouer plusieurs cartes secrètes – et parfois contradictoires – en même temps (il recourait lui-même fréquemment à ce genre de procédé). Il ne laisserait pas un exécuteur des basses besognes lui voler le mérite de la récupération du Mentral. Il comptait sur ce coup d’éclat pour hâter son ascension au sein de la hiérarchie et postuler, à moyen terme, au trône de Berger Suprême. Il conviendrait dorénavant de se méfier comme de la peste nucléaire de cet officier du Jahad, peut-être chargé par une faction ou l’autre du palais épiscopal de mettre la formule en lieu sûr et d’éliminer les autres membres de la légation.

— Je regrette que la hiérarchie d’Orginn nous ait obligés à participer à cette ambassade, soupira le moine.

— Vous êtes donc tellement pressé de perdre vos autres doigts de pied ? demanda pra Goln d’un ton faussement désinvolte.

Les regards se posèrent machinalement sur les pieds du moine, nus dans des sandales à fines lanières. Le pouce et deux doigts manquaient à celui de gauche, et trois doigts à celui de droite. On distinguait à leur emplacement des moignons boursouflés, violacés, qui montraient qu’ils avaient été arrachés plutôt que coupés.

— Vous observeriez nos règles que vous en auriez probablement perdu davantage.

— Qu’est-ce qui vous a valu ces amputations ? insista pra Coin.

Il lui fallait humilier l’Abroïsien, jeter le discrédit sur sa perspicacité, le dissuader de se mêler de ce qui ne le regardait pas.

— J’ai offert chacun d’eux à IDR El Phase pour combattre une certaine paresse à le servir, répondit le moine avec un sourire désarmant de sincérité. Il m’est arrivé de rester dans ma cellule plutôt que de me rendre à l’office de l’aube et j’ai demandé à ce qu’on me coupe les doigts de pied pour m’obliger à me lever. Et vous, que lui avez-vous offert, pra ?

— Un autre genre de cellules : les grises. De celles qui manquent cruellement à certains.

— Plus l’homme se prétend intelligent, plus il est sot, dit un proverbe lulomien.

Pra Goln se contint pour ne pas sauter à la gorge du moine. Su-pra Jaïdi suivait la querelle de ses deux subordonnés – même si les moines n’appartenaient pas au clergé proprement dit, ils étaient les équivalents hiérarchiques des fras – avec un intérêt amusé. Il n’aimait pas beaucoup l’homme qu’on lui avait imposé comme secrétaire, un intrigant dont l’ambition suintait par tous les pores de la peau, mais il n’appréciait pas davantage les Abroïsiens, issus de l’hérésie d’Abroïsius, un Ultime brûlé dans un four à déchets et réhabilité dix siècles plus tard par le Berger Suprême Achnaval. Les automutilations de ces fanatiques l’effrayaient autant que les cabales des permanents administratifs du Palais d’Orginn. Il avait demandé à être muté sur Orenz, une planète paisible peuplée de vingt-trois milliards d’individus, pour échapper aux manœuvres incessantes et tortueuses de ses pairs. Il exerçait une influence grandissante auprès du monarque orenzan, Kikéon N, au point que ce dernier ne prenait aucune décision sans l’avoir au préalable consulté. Au début de son règne, l’ancienne religion, un polythéisme primitif appelé le zunimer, avait été déclarée illégale et les temples du Chêne Vénérable, reconnaissables à leurs flèches vertes, se dressaient par milliers sur les places des villes et des villages.

L’ordre expédié depuis le Palais d’Orginn sur son tabernacle personnel avait à la fois flatté et contrarié Su-pra Jaïdi. Flatté de constater que la hiérarchie ne l’avait pas oublié au bout de vingt années d’exil volontaire, contrarié parce qu’il n’avait pas envie de quitter sa planète d’adoption, ce terreau fertile où il avait moissonné des milliards d’âmes. Il n’avait pas eu d’autre choix, cependant, que d’accepter la mission qui lui avait été confiée. Il avait entendu parler de la formule mise au point par les Ulmans chercheurs et que la rumeur dotait d’une puissance dévastatrice – le souffle de la colère d’IDR El Phase –, il avait entendu dire qu’un agent du Jahad l’avait recueillie des lèvres d’un physicien agonisant, mais il n’avait accordé aucun intérêt à cette histoire jusqu’à la lecture de ce message sur son tabernacle personnel. Il supposait qu’on faisait appel à lui parce qu’il était le plus expérimenté des Ultimes en exercice dans la Quinzième Voie Galactica (pas un prélat ni même un pra ne s’étaient aventurés dans la Seizième, où quelques fras isolés et courageux, comme Yakkez, semaient des graines de vraie foi dans les âmes en friche). On lui avait ordonné de nouer des relations diplomatiques avec le Cartel, d’implanter une ambassade à Ersel et, là, d’infiltrer les administrations locales afin d’être averti de l’arrivée de Rohel Le Vioter, soupçonné de vouloir remettre le Mentral aux nouveaux maîtres de Déviel.

« Vous devrez l’intercepter à tout prix – nous disons bien à tout prix, fût-ce en déclenchant une guerre interplanétaire ou en exterminant la population locale – avant le Cartel, le cryogéniser et le rapatrier sur Orginn afin que nous puissions l’enfermer dans un caveau capitonné et extirper le Mentral de son cerveau. Comprenez, Ultime Su-pra Jaïdi, que l’intérêt supérieur de notre très sainte Eglise est en jeu… »

Le message se terminait par une ode à la gloire du Berger Suprême Gahi Balra (pour lequel Su-pra Jaïdi n’avait pas voté lors du dernier conclave), priait l’Ultime de bien vouloir accepter la compagnie d’un secrétaire venu d’Orginn, d’une cohorte du Jahad et d’une délégation de moines abroïsiens de Lulom, et fixait rendez-vous à tout ce petit monde à la mission d’Ersel.

Si la découverte de la capitale dévillienne, une ville sale, oppressante, froide, n’avait pas exalté l’enthousiasme de Su-pra Jaïdi, les conditions d’accueil de la mission lui avaient définitivement laminé le moral : il devait partager avec pra Goln et deux moines une chambre vétuste, crasseuse, équipée d’une douche d’eau froide. Les repas se composaient la plupart du temps d’une soupe épaisse, de pain rassis et de morceaux de viande aussi durs que du bois. Fra Yakkez n’était en rien responsable de ce dénuement, car Ersel connaissait des temps difficiles, comme en témoignaient les cadavres qui pourrissaient dans les rues, les devantures vides des épiceries régulièrement pillées par des organisations criminelles, les immondices qui s’accumulaient devant les maisons, la puanteur que ne parvenaient pas à chasser les rafales d’un vent pourtant mordant. Des bagarres éclataient de temps à autre non loin de la mission, qui s’achevaient parfois en émeutes, en batailles rangées.

Su-pra Jaïdi s’était étonné auprès de fra Yakkez qu’aucune autorité n’intervienne pour empêcher ces massacres.

— Le Cartel n’est pas un gouvernement comme les autres, Votre Grâce, avait expliqué le missionnaire. Il ne promulgue aucune loi, aucun décret, il n’arbitre pas les litiges, il ne lève aucun impôt… Hormis, peut-être, l’impôt humain.

— Que voulez-vous dire ?

— Eh bien, des rumeurs persistantes affirment que la seule exigence du Cartel, c’est d’être approvisionné en corps humains.

— Ils seraient… anthropophages ?

— Ils auraient plutôt besoin d’investir des enveloppes corporelles pour survivre. Mais probablement ces bruits sont-ils dénués de tout fondement.

— Ils ne paraissent jamais en public ?

— Je ne les ai encore jamais vus.

En tant que représentant officiel de l’Église du Chêne Vénérable, Su-pra Jaïdi avait attendu lui-même plus d’un mois avant d’obtenir une audience. La légation avait exploité ces trente jours de battement pour glisser ses hommes dans les administrations ou les compagnies les plus importantes de la planète. Des agents du Jahad s’étaient ainsi infiltrés dans l’équipe des techniciens de l’astroport, d’autres s’étaient introduits dans les ruines des grands médias locaux, d’autres encore dans l’armée des serviteurs du palais, d’autres dans les organisations clandestines de résistance, d’autres enfin dans les bandes qui contrôlaient les divers trafics… Deux nouvelles étaient remontées de ce réseau rapidement constitué : le commerce des corps humains n’était pas une légende, et un vaisseau en provenance de la Quinzième Voie Galactica avait été bombardé par les sondes aériennes de la résistance dévillienne avant de s’écraser dans le désert intérieur de Déviel.

— Et si c’était Rohel Le Vioter ? s’était interrogé Su-pra Jaïdi.

— Quel motif aurait poussé la résistance dévillienne à s’en prendre à un déserteur du Jahad ? avait objecté pra Goln.

— Se débarrasser d’un homme qui livre une arme redoutable à ceux qu’ils combattent.

— Comment les résistants auraient-ils appris que Rohel Le Vioter détient le Mentral ?

— La collecte de renseignements est à la base des activités de tous les réseaux de résistance. Je suppose que certains de leurs agents ont infiltré le palais du Cartel.

— D’après nos hommes, leurs réseaux sont mal organisés, incapables de recueillir ce genre d’informations. À mon avis, le naufrage de ce vaisseau n’a rien à voir avec notre homme. Il s’agit probablement d’un règlement de comptes entre deux groupes rivaux de la résistance.

Su-pra Jaïdi avait décelé dans les yeux de son secrétaire des lueurs fiévreuses qui démentaient la neutralité de ses propos. Il s’était alors douté que pra Goln lui cachait des informations importantes mais il avait décidé de ne rien laisser paraître de son dépit ni même de recourir aux propriétés de la phriste blanche de son anneau, la pierre de synthèse qui avait la propriété de changer de couleur devant les esprits dissimulateurs. Il ne souhaitait pas replonger dans l’atmosphère vénéneuse des intrigues du palais épiscopal et, d’autre part, la volonté du Berger Suprême, et par extension d’IDR El Phase, s’accommodait probablement de stratégies plurielles.

 

Les membres de la légation restèrent silencieux jusqu’à ce qu’un huissier en livrée rouge s’introduise dans la pièce et, d’un geste de la main, les invite à le suivre. Ils parcoururent un couloir étroit qui donnait sur une seconde salle, sombre, peuplée de silhouettes immobiles et silencieuses. Ils crurent d’abord traverser un musée de cire, mais rapidement ils se rendirent compte qu’ils passaient à côté d’hommes et de femmes figés, qu’on aurait abandonnés là après les avoir vidés de leur substance et dont les yeux grands ouverts semblaient contempler le vide pour l’éternité. Des rayons de lumière tombant d’invisibles lucarnes, effleuraient leurs traits inertes, leurs cheveux pétrifiés.

Su-pra Jaïdi songea que la hiérarchie d’Orginn l’avait expédié dans l’antre du diable. Le froid et l’ambiance lugubre qui régnaient sur cette pièce le faisaient frissonner de la tête aux pieds. Les claquements de leurs semelles sur le carrelage résonnaient comme des coups de canon dans le silence mortuaire, mais aucune tête ne se retournait sur leur passage.

— Une penderie…

Les murs et la voûte prolongèrent et amplifièrent le chuchotement du moine.

— Que voulez-vous dire, l’Abroïsien ? demanda pra K-Sum à voix basse.

— Ces gens sont comme des vêtements entreposés dans un placard…

La remarque du moine frappa ses coreligionnaires par sa justesse : si les maîtres de Déviel étaient contraints d’investir des corps humains pour se prolonger en vie, ils en changeaient probablement selon leur humeur ou leurs besoins et les entreposaient dans les différentes pièces de l’ancien palais impérial. Le trafic des corps d’emprunt n’était qu’une abominable variante du commerce des vêtements sur les autres mondes. Les ecclésiastiques prenaient conscience, tout à coup, que cette ambassade risquait de se terminer de la pire manière : l’atroce garde-robe des êtres du Cartel montrait qu’ils n’accordaient aucune espèce d’importance à la vie humaine.

— J’espère que vos hommes se tiennent prêts à intervenir, glissa pra Goln au commandant de la cohorte du Jahad.

— Ils sont en alerte permanente, répondit pra K-Sum. Je constate avec plaisir que vous avez révisé votre jugement sur les services secrets de l’Église.

— Le Jahad est un mal parfois nécessaire, commandant.

Ils traversèrent d’autres salles également peuplées de statues humaines. L’huissier marchait d’un pas mécanique, enfilant sans hésiter les couloirs. L’atmosphère, de plus en plus glaciale, leur donnait la sensation de déambuler à l’intérieur d’une gigantesque chambre froide. Des nuages de condensation s’échappaient de leurs narines ou de leurs bouches entrouvertes.

Ils débouchèrent enfin dans une salle dont ils ne distinguaient ni les murs ni le plafond.

— Les anciennes caves du palais, murmura le moine en désignant les dalles grossièrement taillées du sol. Nos hôtes n’ont pas la même conception du luxe que certains gouvernements.

— Elle se rapproche davantage de la vôtre, l’Abroïsien, lança pra Goln. Vous devriez vous sentir à l’aise ici.

— On se sent à l’aise partout lorsque le feu divin d’IDR El Phase vous protège, riposta le moine.

L’huissier se dirigea vers une estrade plongée dans la pénombre et sur laquelle se devinaient les formes caractéristiques de fauteuils. D’une double pression de l’index sur son bracelet, pra K-Sum déclencha la micro-camera infrarouge greffée dans son œil droit et pointa l’objectif sur l’estrade. À quelques centaines de mètres de là, les officiers de sa cohorte découvraient la même scène que lui sur l’écran-bulle relié à son endo-objectif : une quinzaine d’hommes et de femmes assis sur des trônes disposés en arc de cercle et tendus de velours noir ou rouge. Il pressa de nouveau son bracelet et changea de focale pour mieux discerner les détails. Le visage d’un maître de Déviel lui apparut en gros plan. Un homme sans âge dont les yeux étaient fixés sur lui. Un regard où ne passait aucune expression mais qui semblait chargé d’une énergie maléfique. Saisi, pra K-Sum se hâta de bouger la tête et de changer de sujet. L’objectif captura le dossier sculpté et doré d’un fauteuil avant de glisser sur un deuxième visage, flou d’abord, puis de plus en plus net. Une femme, jeune en apparence, assez jolie avec ses longs cheveux blonds, son front légèrement bombé, son nez droit, ses lèvres pleines. Il songea alors que ce corps séduisant contenait un être parasite venu d’un univers inconnu. Autant il était facile de prévoir et d’anticiper les réactions humaines – il suffisait de manipuler les leviers de l’avidité et du désir plus ou moins conscient de reconnaissance sociale –, autant il serait délicat de jouer avec l’inconnue que représentait l’idiosyncrasie des membres du Cartel.

— Approchez-vous, Ulmans du Chêne.

Bien qu’il eût le réflexe instinctif de balayer l’ensemble de l’estrade avec son objectif, pra K-Sum ne parvint pas à deviner d’où avait jailli la voix. De même, il lui aurait été impossible de la décrire, de préciser si elle était aiguë ou grave, féminine ou masculine.

— Une sorte de chœur, une expression vocale collective, chuchota le moine.

Sur un signe de l’huissier, les quatre Ulmans s’avancèrent et s’alignèrent à quelques mètres de l’estrade. Su-pra Jaïdi s’inclina et leva sa main droite afin de montrer son anneau, le sceau de son autorité, aux maîtres de Déviel.

— Je suis l’Ultime Su-pra Jaïdi, représentant de Sa Sainteté Gahi Balra, Berger Suprême de l’Église du Chêne Vénérable, déclara-t-il d’un ton emphatique que pra Goln jugea déplacé.

— Nous savons qui vous êtes, dit la voix.

Pour autant que pra K-Sum pût en juger, aucun de leurs vis-à-vis assis dans les fauteuils n’avait ouvert la bouche. Le Cartel utilisait peut-être des synthétiseurs et amplificateurs de pensées en vogue sur certains mondes de la Quinzième Voie Galactica, mais le commandant ne repéra pas les haut-parleurs ou les répercuteurs inhérents à ce genre de système. Les souverains de Déviel restaient aussi immobiles sur l’estrade que les silhouettes dans les salles voisines, une fixité qui déroutait les membres de la délégation à la fois par son caractère morbide et par l’impossibilité de se raccrocher à des repères visuels, à des expressions, à des regards.

— Ma hiérarchie m’envoie établir des relations officielles et suivies avec votre gouvernement, reprit le prélat après s’être éclairci la gorge.

— Qu’entendez-vous par « suivies » ?

Su-pra Jaïdi consulta du regard pra Goln : ce dernier était peut-être un arriviste, un manipulateur, mais en cet instant l’Ultime avait un besoin urgent des compétences d’un homme rompu aux intrigues et, par extension, aux subtilités diplomatiques. Un sourire narquois flotta pendant quelques instants sur les lèvres du secrétaire.

— Nous reconnaîtrons votre souveraineté auprès des États membres de l’univers recensé, dit pra Goln en s’avançant d’un pas.

— Vous pensez donc que vous avons besoin de reconnaissance ? demanda la voix qui, malgré son timbre neutre, recelait de subtiles intonations ironiques.

De furtifs éclats embrasèrent les yeux des silhouettes assises sur les trônes. Pra K-Sum pressa son bracelet à trois reprises afin de maintenir ses hommes en état d’alerte.

— Aucune planète souveraine ne peut rester isolée, répliqua pra Goln. Quelle que soit sa puissance, il lui faut négocier des alliances ou, l’histoire le prouve, elle est condamnée à régresser, à disparaître.

Dans l’ignorance du protocole en usage sur Déviel, il fixait tour à tour les membres du Cartel. Il devait faire un terrible effort sur lui-même pour contenir l’irritation provoquée par l’impassibilité de ces masques de cauchemar.

— Une alliance avec l’Église du Chêne serait donc de nature à nous rassurer ?

— À consolider votre souveraineté, très certainement.

— Qu’exigez-vous en échange ?

— Rien d’autre qu’une ambassade officielle, la protection de nos missionnaires et la permission de bâtir un temple dans le centre d’Ersel.

Le regard de pra Goln croisa celui de son supérieur hiérarchique : la négociation ne s’annonçait pas trop mal. Une fois dans la place, et après avoir récupéré le Mentral, l’Église s’arrangerait pour renverser ces créatures fantomatiques et les remplacer par un gouvernement à sa solde.

— Nous n’envisageons pas l’avenir sous le même angle que vous, Ulmans du Chêne, reprit la voix.

— Ils n’ont jamais eu l’intention de traiter avec nous, chuchota rapidement le moine à l’adresse de pra K-Sum. Ils viennent tout droit du Grand Enfer des Déchets.

Le commandant hocha la tête et appuya à cinq reprises sur le métal de son bracelet pour ordonner à ses hommes de s’introduire par la force dans le palais. D’après ses calculs, il leur faudrait cinq minutes pour parcourir la distance qui séparait la mission de l’ancien quartier impérial. Il se pencha sur sa droite et murmura à l’oreille de Su-pra Jaïdi :

— Essayez de gagner du temps, Votre Grâce…

L’Ultime eut toutes les peines du monde à contenir le tremblement de ses lèvres.

— Vous parliez d’avenir, je crois… bredouilla-t-il en relevant la tête. Sous quel angle l’envisagez-vous donc ?

— Nous sommes, vous et nous, très désireux de rentrer en possession d’une certaine formule, répondit la voix. Or nous ne prévoyons pas de la partager avec un tiers, fût-il son inventeur.

Les quatre Ulmans demeurèrent sans réaction pendant quelques secondes. Les maîtres de Déviel abattaient franchement leurs cartes, se posaient en maîtres du jeu.

— Vous faites erreur… balbutia Su-pra Jaïdi. Nous ne savons pas à quelle formule vous…

— C’est nous qui avons envoyé Rohel Le Vioter sur Orginn afin de dérober le Mentral, coupa la voix. Nous en avons besoin pour ouvrir les portes de cet univers aux armées du chaos. Il a été annoncé, voici de cela sept jours, dans notre espace aérien, mais des sondes explosives l’ont contraint à se poser en catastrophe dans le désert intérieur. Nous vous soupçonnons d’être à l’origine de ce naufrage.

— Ridicule ! protesta pra Goln. Vos propos sont incohérents : nous ne l’aurions pas abattu si nous étions réellement chargés de récupérer cette formule. D’autre part, nous ne disposons d’aucun matériel militaire et…

— Il vous suffisait d’infiltrer les techniciens de l’astroport, de programmer les sondes afin de le contraindre à s’échouer dans le désert, et enfin de lui dépêcher un de vos agents pour obtenir sa confiance et l’attirer dans un piège.

Su-pra Jaïdi fit le rapprochement entre la conversation qu’il avait tenue quelques jours plus tôt avec son secrétaire et les paroles du Cartel. Pra Goln avait probablement exécuté les consignes du palais épiscopal en interceptant le vaisseau du déserteur et en gardant cette information pour lui. L’Ultime ne pouvait s’empêcher de se sentir humilié par cette mise à l’écart, d’autant que le résultat, peu probant, ne justifiait pas a posteriori une telle marque de défiance.

— Cette ambassade n’était destinée qu’à donner le change, Ulmans du Chêne.

La puissance soudaine de la voix fit sursauter les ecclésiastiques.

— Notre intention n’était pas de… commença Su-pra Jaïdi.

— C’est ce décalage entre les pensées et les actes qui a perdu l’humanité, la faille par laquelle nous nous sommes engouffrés. Votre agent ne pourra pas s’en sortir seul.

— Qu’en savez-vous ? lança pra Goln, sans se rendre compte que cette provocation sonnait comme un aveu.

Des éclats vifs, menaçants, traversèrent de nouveau les yeux des créatures assises sur les trônes. Elles n’avaient pas pris le temps de changer les vêtements de leur corps d’emprunt. Elles portaient des robes ou des costumes simples aux étoffes grossières, voire des haillons pour deux d’entre elles.

— Nous allons constituer une nouvelle ambassade, Ulmans du Chêne.

— Que font donc vos hommes ? lança le moine à pra K-Sum.

— Ils ne devraient plus tarder, répondit le commandant après avoir jeté un bref coup d’œil par-dessus son épaule.

— Une ambassade de Garloups au palais épiscopal d’Orginn, poursuivit la voix.

Les quinze silhouettes rassemblées sur l’estrade se départirent tout à coup de leur immobilité et, poussant des grognements sinistres, fondirent avec une rapidité effarante sur les ecclésiastiques pétrifiés.

Cycle de Saphyr
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